Le joueur
Nouvelle écrite par Dana
Le
soleil tapait
fort. John s'arrêta,
prit sa gourde
et but une
longue rasade
d'eau fraîche.
Du revers de la
main, il essuya
les petites
gouttes qui
perlaient encore
sur ses lèvres
avant d'enfoncer
plus profondément
son chapeau sur
son front. Il
leva la tête,
plissa les yeux
et regarda avec
soin autour de
lui en s'éloignant
prudemment sur
le sentier de la
crique. La route
serait plus
longue que par
le chemin
habituel, mais
il y serait sûrement
plus en sécurité.
La
chaleur était
étouffante,
mais ce n'était
certes pas ce léger
détail qui
allait empêcher
les hommes du
coin de partir
à sa recherche.
Ils avaient
seulement
attendu que le
jour se lève
pour le traquer.
John l'avait su
dès la première
minute.
Il
aurait pu
marcher toute la
nuit pour mettre
le plus de
distance
possible entre
lui et ses
poursuivants,
mais la fatigue
l'avait emporté
et il s'était
assoupi.
Lorsqu'il avait
ouvert les yeux,
le soleil avait
déjà pointé
ses premiers
rayons à
l'horizon. John
n'avait pas traîné
depuis et il
avait marché le
plus rapidement
possible en
direction de la
montagne noire;
le seul endroit
où il aurait la
possibilité de
se terrer jusqu'à
ce que les
choses se
tassent.
Un
hennissement le
fit se
retourner. Il
frissonna quand
il aperçut la
silhouette d'un
homme à cheval
qui se dessinait
sur le feuillage
près de lui.
Sans savoir s'il
avait été repéré,
il se laissa
doucement
glisser entre
les arbustes et
s'immobilisa.
D'abord,
les voix semblèrent
s'éloigner.
John crut
qu'enfin la
chance avait
tourné et qu'il
éviterait
l'affrontement,
mais après
quelques
secondes, les
hommes revinrent
sur leurs pas et
commencèrent à
gravir le
sentier sur
lequel le fuyard
s'était tapi.
Il
perçut l'odeur
des chevaux mêlée
à celle des
hommes bien
avant de sentir
leur présence.
Le vent avait
tourné. C'était
une bonne chose
pour lui. Sa
propre odeur ne
le trahirait
pas. Le premier
cavalier passa
devant lui
presque au
galop. John le
reconnut. Il
s'agissait de
Stef, l'adjoint
du shérif
Alexander Wayne;
Al pour les
intimes. Mais
John ne faisait
pas partie du
lot. Allez
savoir pourquoi,
se dit-il avec
un sourire en
coin.
Il
s'attendait à
ce que le deuxième
en fasse autant,
mais il tardait
à arriver. John
commençait à
avoir des
fourmis dans les
jambes à force
de ne pas
bouger.
Plusieurs
minutes s'étaient
écoulées
depuis le
passage de
l'adjoint. Il
avait fini par
se dire que le
shérif avait
suivi un autre
chemin quand l'ébrouement
d'un cheval à
l'orée du
sentier lui fit
retenir son
souffle. Le
fugitif tendit
l'oreille.
Le
cavalier entra
sous le couvert
des arbres. Il
retenait son
cheval par la
bride, le forçant
à marcher au
pas. John
entendait les
sabots de
l'animal qui
grattait le sol
avec impatience
à deux mètres
à peine de sa
cachette. Il
risqua un oeil
à travers les
branches. Ce bon
vieux Al était
là. Rusé comme
un renard, il se
tenait planté
au beau milieu
du sentier,
attentif au
moindre son émergeant
de la forêt. À
la manière d'un
prédateur, il
semblait
renifler l'air
autour de lui
cherchant à
reconnaître
l'odeur de sa
proie dans la
brise humide.
John resta
inerte.
Il
connaissait bien
la réputation
du shérif. Elle
avait traversé
le Far West à
la vitesse d'une
traînée de
poudre depuis le
jour où
celui-ci avait
concrétisé sa
première
arrestation. Il
avait poursuivi
un voleur de bétail
du Texas
jusqu'au Canada
et l'avait
froidement
abattu sans plus
de préambule dès
qu'il l'avait
coincé. Ceux
qui avaient
assisté à
cette mise à
mort l'avait
qualifiée de véritable
carnage.
Cet homme de loi ne lâchait jamais prise. Il pouvait franchir des distances incroyables simplement pour ramener un petit voleur à la tire ou pour l'abattre sur place selon son humeur de la journée. Alors combien de temps poursuivrait-il un tricheur malchanceux? Et qu'en ferait-il lorsqu'il l'aurait à sa merci?
Un
frisson glacial
parcourut désagréablement
le dos de John
lorsque le shérif
se tourna vers
lui. Le fugitif
aurait pu parier
que ce dernier
l'avait repéré.
Les yeux de
"Al pour
les
intimes" étaient
fixés droit sur
lui. Un regard
d'aigle, se dit
John en évitant
de penser avec
trop d'intensité
de peur d'être
mystérieusement
deviné. Deux
billes noires
roulaient dans
leurs orbites à
la recherche
d'une proie et
pour l'instant
c'était de lui
qu'il
s'agissait.
John
transpirait
abondamment. La
sueur lui
coulait dans les
yeux et il ne
pouvait faire
aucun mouvement
pour la dévier.
Un picotement
agaçant suivi
d'une brûlure
mordante
finirent d'accroître
le malaise.
Malgré tout, il
demeura immobile
et continua à
surveiller le
dangereux ennemi
à deux pas de
lui.
À chaque
mouvement du shérif
dans sa
direction, il
avait une envie
folle de prendre
ses jambes à
son cou. Il se
força à
demeurer de
glace en priant
silencieusement
pour qu'il ne
l'aperçoive
pas. Après deux
minutes
interminables,
le shérif fit
glisser son
regard sur les
buissons
environnants et
abandonna celui
de John. Ce
dernier en
profita pour améliorer
un peu plus son
champ de vision
même s'il
n'osait toujours
pas respirer
normalement; le
stress lui
coupant le
souffle.
Son
poursuivant
continua
l'inspection
olfactive des
hautes herbes
sur l'autre
flanc du
sentier. Le nez
en l'air, l'air
absent et les
yeux exorbités,
il semblait évoluer
dans un monde
irréel connu de
lui seul. Cela
dura dix bonnes
minutes qui
parurent des
heures à John.
Les moustiques
s'étaient mis
de la partie et
le dévoraient
vif, mais il ne
les remarqua pas
tant le shérif
l'obsédait.
Tout
à coup, comme
s'il avait reçu
un signe visible
de lui seul, ce
cher vieux Al
secoua son
chapeau, remit
son arme dans
son fourreau et
envoya valser
son long manteau
poussiéreux sur
le côté avant
de mettre le
pied dans l'étrier
et d'enfourcher
son cheval. Un
dernier coup
d’œil
attentif aux
alentours et il
prit la
direction
qu'avait emprunté
son adjoint sans
un regard en
arrière.
John
n'aurait jamais
cru que l'on
puisse ressentir
un tel
soulagement au départ
de quelqu'un. Il
inspira un bon
coup et se
retourna sur le
dos, les bras en
croix. En
soupirant
profondément,
il commença à
échafauder un
plan qui le
conduirait loin
du redoutable shérif;
loin, très loin
espérait-il.
Il
était en lieu sûr
à présent. Ses
poursuivants ne
reviendraient sûrement
plus le chercher
dans les parages
puisqu'ils
avaient complété
leur inspection.
Pour quelques
heures, il ne
bougerait pas,
mais dès le crépuscule,
il faudrait
qu'il tente sa
chance.
John
s'assoupit
certainement car
quand il rouvrit
les yeux, le
soleil avait
depuis longtemps
cédé la place
aux étoiles.
Pressé de
partir, il se
releva
rapidement pour
retomber aussitôt.
Ses jambes étaient
de plomb. Encore
engourdies par
plusieurs heures
d'inactivité,
elles refusaient
d'obéir. John dû
les masser
vigoureusement
avant qu'un
picotement
significatif
confirme que le
sang circulait
allègrement de
nouveau.
Dès
qu'il tint sur
ses pieds, il
sortit
prudemment de
son refuge et
prit la
direction de la
prochaine ville.
Sans sa monture,
ça prendrait sûrement
plusieurs jours,
mais avec un peu
de chance, il
trouverait un
canasson
abandonné sur
sa route ou au
pire, en
volerait un dans
le premier ranch
venu.
Fourbu
et affamé, il
entreprit le
voyage qui
devait le mener
vers la liberté;
loin du shérif
Alexander Wayne
et de ce saloon
dont il n'aurait
jamais dû
s'approcher.
Tout avait si
bien commencé
pourtant. Une
petite ville
comme les
autres, une
partie de cartes
tout ce qu'il y
a de plus normal
et la
catastrophe;
l'imprévu qui
était venu
mettre la
pagaille.
Ce
sale con de
pianiste qui
avait aperçu
l'as dans sa
manche et qui s'était
empressé de le
faire tomber.
Les autres
joueurs
n'avaient pas
apprécié. Oh
non! Pas du
tout. Une échauffourée
avait suivi et
pour comble de
malheur le shérif
s'était pointé
à l'instant où
il fracassait
une bouteille de
whisky sur la tête
du pianiste. Le
cher Al avait
refusé de
croire à ses
explications
tordues et avait
immédiatement
procédé à son
arrestation.
Il
s'en était
fallu de peu
pour qu'il passe
la nuit en
prison. Si ce
n'avait été
d'un ivrogne qui
avait bousculé
le shérif à la
sortie du bar,
s'en était fait
de lui. John
avait alors
profité de son
bon sort pour
prendre la
poudre
d'escampette
sans demander
son reste.
Depuis, il décampait
devant les représentants
de la loi et
devait le faire
à pied puisque
dans
l'animation, il
avait été
contraint
d'abandonner son
cheval. Son fidèle
ami était resté
attaché devant
le saloon et
John ignorait
s'il pourrait un
jour le récupérer.
La
nuit était
douce et chaude.
Une pleine lune
éblouissante
aurait inondé
le ciel de
lueurs cadavériques
si ce n'avait été
de la masse
nuageuse qui
l'enveloppait
presque
continuellement.
Un coup de
chance pour le
fuyard.
John
circulait
librement depuis
un quart d'heure
lorsqu'un bruit
de sabots
martelant le sol
s'amplifia derrière
lui. Il eut à
peine le temps
de se mettre à
l'abri derrière
un rocher que déjà,
ils arrivaient.
Le fugitif
sortit son
revolver. D'un
geste vif, il
pointa l'arme et
tira au hasard.
Ses poursuivants
abandonnèrent
leurs montures
pour se réfugier
dans les fourrés
de chaque côté
du chemin en
soulevant un
nuage de poussière.
Le sable emplit
ses narines. Il
en eut à peine
conscience.
Ses
muscles gorgés
de sang
palpitaient sous
la tension. Son
corps
accomplissaient
des gestes précis,
sans faille,
dicté seulement
par son
instinct, gestes
qu'il aurait été
incapable
d'accomplir dans
un autre
contexte.
Le
fuyard jeta un
oeil sur les
fourrés où il
croyait avoir
repéré ses
assaillants. Il
ne parvenait pas
à les
apercevoir dans
l'obscurité. Il
leva les yeux
vers le ciel.
Les nuages
recouvraient
abondamment
l'astre lunaire
et ne laissaient
rien percer.
John crut
deviner un
mouvement sur sa
droite. Il
pointa son arme
dans cette
direction. Rien
ne bougea. Il détourna
vivement la tête
vers l'autre côté
et aperçut une
ombre qui
traversait la
route. Il visa
et tira presque
en même temps.
La silhouette s'écrasa
au sol en
hurlant de
douleur, puis
tout redevint
silencieux.
John
avait le souffle
court. Il
tournoyait dans
tous les sens à
la recherche
d'un éventuel
agresseur
sortant de nulle
part. Aux
aguets, il écoutait
attentivement
les bruits de la
nuit quand il
devina, plus
qu'il
n'entendit,
rouler une
pierre sur le
sable. Au même
moment, un rayon
de lune parvint
à percer les
nuages et éclaira
la scène.
Le
shérif Wayne se
tenait à trois
mètres sur sa
droite. Il était
debout, droit
comme un
"i" et
le tenait en
joue avec une
carabine à long
canon qui aurait
sûrement pu
abattre un ours
à 30 mètres.
John était figé
de terreur. Il
n'osait rien
tenter de peur
de déclencher
les hostilités
et attendait, il
ne savait trop
quoi. N'importe
quoi en fait,
pourvu que ça
vienne changer
le cours du
temps et lui
redonner le
dessus sur le
redoutable homme
de loi.
Le
shérif abaissa
son arme
l'espace d'un
instant. Juste
le temps pour
John de voir
apparaître un
sourire narquois
sur ses lèvres.
John retint son
souffle. Le représentant
de la loi releva
lentement sa
carabine et visa
droit au coeur.
Le fuyard
tentait un geste
désespéré
vers son arme
lorsque...
«
Jean! cria sa mère.
Jean! Si tu ne
viens pas tout
de suite, tu
passeras sous la
table. C’est
la dernière
fois que je te
le dis,
ajouta-t-elle
sur un ton
bourru avant de
refermer la
porte dans un
claquement sec.
»
Les
trois gamins se
regardèrent
d'un air désolé.
Elle ne pouvait
pas plus mal
tomber. Juste
comme "Jean-John"
le fugitif
allait enfin
payer pour ses
crimes de la
main même du
redoutable shérif
"Alex-Al"
et que peut-être
que "Stéphan-Stef"
l'adjoint allait
se relever
miraculeusement
ressuscité pour
reprendre le jeu
et participer à
l'exécution du
méchant
tricheur. Non,
vraiment l'heure
du repas était
bien mal tombée.
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