Histoire 3

Écrite par Lasriz, Kamou, Kriscaro, Andie,
Voice et ...

Vers huit heures, je sors de chez moi pour aller au turbin. Croyez-moi, être une prostituée de nos jours est beaucoup moins distrayant que ce que j’imaginais. C’est vrai, on m’avait dit: si tu ne veux aucune contrainte, si tu veux des horaires flexibles, c’est le meilleur plan. J’ai soudain la sensation de m’être faite avoir… Je rêvais de me taper tous les plus beaux mecs de la planète, les plus riches, les Richard Gere. Mais Julia Roberts est une putain d’exception. Je me tape des vieux décrépis, chauves, moches et qui puent. Je me tape des connards de première. Je me tape le gras, le laid, le beauf. Et pas de Richard Gere.

L’autre jour, j’étais sur le trottoir comme tous les jours et je marchais de long en large; pas un client en vue. Et soudain, une voiture s’arrête (pas celle de Richard, je vous rassure), une petite tête chauve en sort (je vous l’ai dit: je me tape que des chauves…) et le bonhomme me dit: « Monte ma poule, j’ai ce que tu cherches. » Le mec, il croit savoir ce que je cherche… Moi, je cherche le calme, je cherche une baraque en montagne avec une peau de mouton près du feu, je cherche tout ça. Le type en question, il croyait que ce que je cherchais, c’était sa biroute à peine plus grosse qu’une cigarette. Ohlala!! Quelle déception… Enfin bref, je lui ai fait ce qu’il voulait, c’est-à-dire presque rien de trop dégueulasse. Et le mec au moment ultime s’est mis à pousser une sorte de miaulement de chaton. C’était tout à fait adorable vu les circonstances. Au moment de partir, le gars me sort: « J’aurais besoin d’une fille comme toi, viens demain à cette adresse. » et il me tendait un papier, genre carte de visite avec une adresse dans les quartiers chics. Le voilà mon Richard Gere? Vous avez rien trouvé de mieux??

« 9, rue des Lilas c'est ici? » Regardez-moi ce snobinard en culotte courte qui s'y croit. À me regarder de cette façon, j'ai envie de lui mettre mon genou dans les valseuses. Y a pas à dire, il ne répondra pas à ma question. Bon, ben tant pis, je sonne. Faut reconnaître qu'entre le 7 et le 11 de la rue des Lilas, c'est certainement pas le 114 que je vais trouver. D'accord, ça fait cruche de demander, mais là, je n'ai peut-être pas le droit à l'erreur. A priori la plaque du numéro de la résidence a été piquée... elle devait être en or massif ou quelque chose du genre. Parce que devant moi se dresse... non pas ce qui se dresse d'habitude devant moi... mais une formidable bâtisse. Il est friqué, le proprio. Je sonne, en me soumettant à l'idée que le vieux qui m'a refilée l'adresse a peut être un fils séduisant, lui. Et là, une meute de clébards enragés déboule dans le parc, se précipitant sur la grille derrière laquelle je me trouve. Ah, les braves bêtes! Tout dans les crocs, mais rien dans le slip. Et vas-y que ça aboie à en faire constiper une vache qui a la diarrhée. Non, c'est sûr, ils ne me font pas peur... Mais c'est le type là, qui s'approche pour venir voir qui je suis, qui me flanque la trouille. L’homme avançait derrière la grille. À sa venue, les chiens se calmèrent d’eux-mêmes. Les voilà maintenant assis sur leur train, la langue au dehors et remuant la queue… Ça me rappelait encore le boulot tout ça. Je ne savais pas pourquoi je me trouvais là et pourquoi j’avais pris ce taxi pour venir dans ces beaux quartiers. L’envie peut-être que la réalité rejoigne la fiction… Un beau Richard Gere se cachait peut-être dans ces murs. Qui sait, la vie est tellement bizarre des fois…

L’homme s’approchait de moi d’un pas lourd et déterminé. Il était fagoté comme un as de pique et j’avoue que ça m’a surprise. Bref, sans m’ouvrir la porte, il me demande de son air ahuri et inquiétant: « Mademoiselle désire? » Et je lui réponds: « Euhhhh, excusez-moi partenaire, mais on m’a dit de venir à cette adresse! » Toujours de son air inquisiteur, il me dit: « Vous avez eu une invitation? » Là, je voyais bien que c’était pas gagné… Il m’avait l’air aussi intelligent et vif qu’un mollusque finalement et je ne voyais pas comment lui expliquer que son « patron » avait envie de s’éclater un peu ces temps ci… quand au même moment, j’entends une cloche sonner. C’était le fameux bonhomme de la veille qui rappelait à l’ordre son « chien de garde » et du pas de la porte lui crie: « C’est bon, laissez là entrer! » L’allée était remplie de cailloux et les talons aiguilles m’empêchaient d’avancer comme je voulais. J’ai cru me ramasser 10 fois avant de rejoindre mon «hôte». J’entendais derrière moi, l’autre mal-fagoté qui me suivait et les chiens qui se remettaient à grogner de plus belle. Enfin arrivée sur le pas de la porte, le vieux bonhomme d’hier me fait rentrer dans la maison… 

À peine rentrée, je vois l’homme qui m’avait ouvert la grille, avec un plateau dans les mains, et qui me proposait une coupe de champagne… C’est là que je me suis dit que la fiction dépassait la réalité… Bref, je m’envoie la coupe de champagne d’un trait sans faire de chichi et je regarde le chauve qui m’avait invitée, il me dit: «Vous avez l’air pressée non? Prenez votre temps, tout votre temps…» Alors là, ça m’a fait marrer là! Parce que l’autre soir dans la voiture, on peut pas dire que ça avait été bien long! Et je lui réponds: «Bahhh vous savez, tant qu’on paie! Moi, j’ai tout mon temps, je pointe pas moi!»

C’est alors qu’il me fit avancer dans la pièce principale… Là se dressaient des statues à connotations phalliques, il faut l’avouer. On pouvait distinguer dans l’amas de formes agglomérées, un homme, bien bâti ma foi et je sais de quoi je parle, et une femme qui s’en donnait à cœur joie. J’imagine facilement le sculpteur ayant une érection quand il a fait ça parce qu’honnêtement même avec mes pires clients, j’ai jamais rien fait d’aussi… grave. Quoi qu’il en soit, je me trouvais dans la caverne d’Ali Baba. Oh mon dieu, cette allusion à ce conte me fit frissonner à l’idée de rencontrer les 40 voleurs! J’avais déjà participé à des «rencontres» de plusieurs personnes mais 40, ça me paraissait au-dessus de mes moyens.

Le chauve me dit: «C’est l’anniversaire de mon fils aujourd’hui.» Le voilà, mon Richard! «J’espère que vous voudrez bien lui faire passer un bon moment quand il arrivera. Par la même occasion, si vous pouviez contacter quelques-unes de vos amies, j’ai invité des amis pour ce soir.» Le deschien me montra un téléphone dans une pièce qui ressemblait fort à un bureau, étant donné qu’au plein centre se trouvait un bureau... nous appellerons cette pièce un bureau. J’ai alors téléphoné à trois quatre «copines» et elles ont raboulé dans la demi-heure, appâtées par le «Venez, y’a un max de fric à se faire ce soir». Nous étions maintenant six (Marlène avait prévenu une autre fille) à nous gaver de fraises et de champagne en attendant le fiston. Bien sûr, il a fallu satisfaire le vieux une fois ou deux avant. Mais ça n’a pas été aussi désagréable que la première fois. Et à chaque fois, il poussait son petit miaulement mignon.

Le fils est arrivé vers les 19h passées. Il était accompagné de trois jeunes garçons. J’aurais dit la vingtaine chacun. Le fils en question était plutôt pas mal, il faut le dire. Mais ses trois copains, eux, ressemblaient à une bande de rats. J’ai pris le fils par la cravate et je lui ai dit «Joyeux anniversaire, allez viens, on va s’amuser.» Une fois la porte de sa chambre refermée, il s'est enfui à l'autre bout de la pièce. Alors là, je dois avouer que ça m'a limité vexée parce que personne ne s'était jamais barré de cette façon en me voyant. Je regarde le fiston d'un oeil mauvais et je lui dis "Bah quoi, j'te plais pas?". Il me regarde avec des yeux de chiots effrayés, comme si je venais de prendre la voix du mec de Scream et de lui faire "Coucou Sydney". Finalement, il bredouille quelque chose, mais il bégaye tellement que ce que je comprends ressemble un peu à ça "ba... ga... be... llk... hsgs". Alors, je m'assois sur le lit et en le regardant droit dans les yeux, je lui fais "Articule mon chou, j'vais pas t'manger". Franchement, on peut dire que je lui fait de l'effet, sauf que c'est pas vraiment à ce genre que je suis habituée. Finalement, après avoir pris une grande inspiration, il me sort, d'une grande traite «J'aime pas les femmes». Et moi, là, je sais pas quoi répondre. Mon Richard Gere est gay, et mes rêves s'envolent en fumée... 

Le temps de réaliser que mon rêve venait de se barrer en couille étant donné que le bonhomme préférait les poils d’un torse viril aux formes délicates d’une femme, le gars se baladait accablé dans la chambre. Je lui dis: «C’est pas un problème… Moi tant qu’on me paye, je veux bien faire ce qu’on veut. Si tu veux, je peux appeler un copain?» Le garçon se redressa alors (pas dans le sens auquel vous pensez… il se redressa debout droit comme un pic) et il dit confus: «Non! Mon père ne le supporterait pas. Il n’est pas au courrant et il me repousserait, c’est certain!» Je lui ai répondu que sachant qu’il n’avait aucun problème à payer une pute à son fils pour son anniversaire, son ouverture d’esprit en matière de sexualité n’était plus à prouver. Mais Gérald (il s’appelait Gérald), refusa à nouveau, il m’expliqua que dans son pays (la Lituanie, il était Lituanien), les orthodoxes (il était orthodoxe) ont le droit d’avoir plusieurs femmes, mais l’homosexualité est un sujet totalement tabou (sauf évidemment entre femmes et ce n’est plus vraiment de l’homosexualité puisqu’il s’agit d’exciter l’homme avant l’accouplement). Un jeune homme lituanien orthodoxe se doit de faire preuve de virilité et doit le jour de ses 20 ans prendre une femme qui aura bu beaucoup de champagne et se sera bavée de fraises que son père lui aura payé sous peine, s’il ne le fait pas, d’être banni de la communauté. Cette explication ressemblait étrangement à un documentaire animalier. Quoi qu’il en soit, j’y vis une bonne occasion pour me faire plein de fric. «Et si ton père l’apprenait?». Gérald se redressa (cf. plus haut) et il me dit en me regardant dans les yeux «Alors je serais un homme mort, car mon père fait parti de la mafia russe!» (sans blague avec autant de fric…) J’appris alors les lituaniens orthodoxes appartenant à la mafia russe punissent l’homosexualité non pas par le bannissement mais par la mort. Quelle drôle de bande de gugusses! «Le silence se paye» lui dis-je en tirant sensuellement sur ma cigarette comme je le fais toujours dans les grands moments…

Gérald pose un regard des plus sinistres sur moi et me fixe durant quelques secondes sans broncher, la bouche grande ouverte. Il a l'air si vulnérable et si effrayé que ça me remplit de plaisir de jouer de cette manière avec lui. J'adore avoir le contrôle sur les autres, cela me donne une puissance qui me semble être la plus forte de l'univers. Je sais bien que cela n'est pas bien de manipuler autrui, mais qu'est-ce que cela m'apporterait de respecter les valeurs dans ma vie de débauche? Je n'ai rien à perdre, tout m'est possible. Et, en ce moment, j'ai la possibilité de me faire un méga gros tas d'argent et je ne peux (veux) pas laisser passer sous mon nez cette opportunité! Tout est en ma faveur. Je souris de satisfaction et me lève sensuellement vers le jeune homme. Je lui soulève le menton et ricane intérieurement en remarquant qu'il tremble de tous ses membres. Sur qui ai-je tombé? Enfin, je dois avouer que je suis un peu blessée dans mon orgueil, j'aurais bien aimé (pour une fois quand même!) être l'esclave sexuelle de ce beau Richard Gere... Peut-être suis-je un peu méchante en lui demandant de payer mon silence, mais il me doit quelque chose pour remplacer ce que je veux et ne peux avoir! En plus, c'est l'occasion rêvée de me faire deux fois plus de pognon. Le père et le fils me payeront si mon plan fonctionne à merveille et je n'ai aucun doute sur cela jusqu'à maintenant.

Soudainement, Gérald recule et approche de sa commode. Un sourire s'affiche automatiquement sur mon visage et j'attends impatiemment tous les beaux billets de banque qu'il voudra bien m'offrir. «Au fait, quel est votre nom?» me demande-t-il d'une voix saccadée. Je fronce les sourcils et observe le jeune homme d'un oeil suspect. J'ai l'impression que quelque chose cloche, cela lui prend trop de temps pour revenir vers moi. Je jette un regard furtif vers le miroir qui est accroché sur le mur perpendiculaire à celui qui fait face à Gérald et mon coeur fait un tour complet dans ma poitrine. Ce n'est pas de l'argent qu'il tient dans ses mains... Non, ce n'est pas du tout ça! Le troisième "gong" des trois heures résonne de l'horloge de la pièce voisine. J'ai l'impression de vivre mes derniers instants... Gérald tend vers moi un flingue. Ses yeux pistaches couleur noisette me pétrifient. En fait, on dirait un psychopathe à présent. «Je vais me servir de toi», me dit-il alors d'un ton gluant. «C'est toi qui vas assassiner mon père...» Il m'expose son plan diabolique: je prends le joujou (le revolver), je butte le vieux et je me casse. Et lui il hérite et, fini ses soucis de sexualité! C'est qu'il est ingénieux ce type. Et il me jette le pistolet dans les mains sans crié gare. Et maintenant, c'est moi qui suis armée! Quel abruti! Je le tiens à ma merci (vous remarquerez ma position à présent dominante, et j'aime ça dominer...) et la voila l'idée de génie! Avec cette arme, je peux menacer la famille et m'emparer de tout le pognon que je veux. 

«Bouge pas guignol!» Je cris en pointant le dangereux engin dans sa direction. «Euh... c'est que c'est pas comme ça qu'on tient un pistolet... c'est pas un...» me dit-il. Bon ok! C'est pas de ce genre de truc que j'ai l'habitude d'avoir entre les pattes. Alors forcément, je peux pas être efficace dès le premier coup. Mais à ce moment-là, papy fait irruption dans la pièce. Et, tressaillant, je sais pas ce que je trafique... mais le coup est parti... je le jure, je l'ai pas fait exprès. Pis il était grave le fils d'être resté en face de moi non? Ça lui a même pas traversé l'esprit de bouger; du coup, c'est la balle qui l'a traversé. Il a fait "BOUM" le pétard et "PAN" Gérald s'effondrant sur le sol. Ou le contraire. Bref, ce qui est sûr, c'est que bobonne va avoir du ménage à faire pour rattraper le parquet de la chambre. «Bien joué!!!» me gueule le vieux zouave. «Merci de vous être occupée de lui.» Quoi??? Il est content que j'ai envoyé sa progéniture là où tout le monde doit se rendre un jour? Carrément cinglé ce type.

Soudain je comprends. Tout est clair. Je viens de remplir ma mission. Comment ça, vous avez pas pigés? C'est pourtant simple. Je vais vous expliquer. Même si la vérité morbide qui se révélait maintenant à moi était terriblement dure à accepter, je devais me rendre à l'évidence que le père de Gérald s'était délibérément servi de moi pour mettre à mort son fils. Sachant depuis des années que son tendre enfant était homosexuel, il avait planifié de l'assassiner lors de ses 20 ans. Ne pouvant pas risquer de se faire accuser du meurtre de son propre garçon, il avait décidé de faire passer cela sur le dos de quelqu'un d'autre. Cette personne était moi, pauvre prostituée n'ayant aucun fric en main... et le père de Gérald pourrait affirmer dans ce cas que j'étais prête à tout pour avoir de l'argent, même prête à tuer. Ce riche mafioso était très brillant et je retentissais une sorte de tristesse à l'idée de m'être faite berner. J'en revenais pas d'être tombée dans ce piège et je m'en voulais vraiment beaucoup. Qu'allais-je faire maintenant?

Je fixe un moment le liquide poisseux qui s'écoule du corps de Gérald, puis souris à son père. Il me regarde étrangement, mais n'a pas l'air de se soucier du flingue que je tiens encore fermement dans ma main. «Heureuse de vous avoir servi à quelque chose, dis-je en le dévisageant malicieusement. Je savais que vous désiriez plus de moi.» Ce type aurait dû se douter que quelque chose n'allait pas dans mon comportement. Il a beau être brillant, il est aussi un peu stupide. En lui faisant croire que je ne sais rien de son jeu et que je suis de son côté, peut-être aurais-je le temps de me fabriquer un plan pour cacher ma venue ici tout en m'assurant que personne ne me trahisse. Mais, était-ce possible de se sortir de cet enfer? 

 

 

[suite...]

 

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